La mission de l’ambassadeur du Maroc en France a pris fin sans qu’un successeur ne soit désigné, dans un climat de crise diplomatique entre Rabat et Paris. Du côté du voisin algérien, l’ambassadeur en France a été rappelé le 09 février, après l’affaire de la militante exfiltrée en France, Amira Bouraoui. Les relations franco-maghrébines ne tiennent plus qu’à un fil.
« Conformément aux hautes instructions royales, il a été décidé de mettre fin aux fonctions de M. Mohamed Benchaâboun en tant qu’ambassadeur de Sa Majesté auprès de la République française, à compter du 19 janvier 2023 », a indiqué un communiqué du ministère des Affaires étrangères publié au Bulletin officiel du 2 février et relayé vendredi par les médias. La date de la fin de la mission du représentant diplomatique marocain en France « intervient le jour où le Parlement européen a voté une résolution appelant les autorités marocaines à +respecter la liberté de la presse+ », écrit le média Hespress.
Une résolution parlementaire polémique
Le Parlement européen a adopté, le 19 janvier, à une large majorité une résolution non contraignante enjoignant aux autorités marocaines de « respecter la liberté d’expression et la liberté des médias » et de mettre fin au « harcèlement de tous les journalistes ». La classe politique marocaine et certains médias ont accusé la France d’avoir « orchestré » une campagne anti-marocaine à Bruxelles. Le président de la commission parlementaire mixte Maroc-UE, Lahcen Haddad, a d’ailleurs accusé « l’État profond français » d’être à l’origine de la résolution des euro-députés. Ce texte « n’engage aucunement la France », a répliqué Christophe Lecourtier, l’ambassadeur français au Maroc, en poste depuis décembre 2022, qui tente de calmer le jeu.
Paris avait également réfuté l’existence de toute crise avec Rabat même si la visite d’État du président Emmanuel Macron prévue -sans date- au 1er trimestre paraît s’éloigner, d’autant plus que le royaume chérifien n’a plus d’ambassadeur à Paris et qu’aucun remplaçant n’a été encore désigné. Officiellement, la décision de mettre fin aux fonctions de M. Benchaâboun est une procédure administrative normale qui fait suite à sa nomination par le roi Mohammed VI le 18 octobre à la tête d’un fonds souverain d’investissement ayant pour mission de dynamiser l’économie.
Ennemis jurés
La crise qui s’amorce est aussi dû aux rapprochements entre Paris et Alger. La guerre d’Ukraine, qui provoque une pénurie de gaz en Europe, met l’Algérie et ses réserves sur le devant de la scène diplomatique internationale. La France et ses voisins européens se tournent vers l’ennemi juré du royaume chérifien. Les brouilles entre les deux pays sont nombreuses, surtout sur le dossier brûlant du Sahara occidental, revendiqué par le Maroc tandis que l’Algérie soutient les indépendantistes sahraouis.
Paris entend continuer à approfondir ses relations avec Alger malgré les frictions liées au retour en France d’une franco-algérienne qui devait être expulsée vers l’Algérie via la Tunisie, ce qui a provoqué le rappel de l’ambassadeur algérien. Frappée d’une interdiction de quitter le territoire algérien, la militante et figure du mouvement « hirak » Amira Bouraoui avait réussi à franchir la frontière algéro-tunisienne avant d’être arrêtée, le 3 février. Trois jours plus tard, elle avait pu être accueillie à Lyon. Possédant la nationalité française, en plus de celle algérienne, la militante a pu compter sur le soutien de l’ambassade française en Tunisie dans cette affaire. Alger a jugé qu’il s’agissait d’une « exfiltration illégale » et a rappelé son ambassadeur « pour consultations ».
Relations franco-algérienne tendues
Interrogé sur le fait que cette affaire était susceptible de dégrader les relations bilatérales, François Delmas, porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré: « pour notre part, nous entendons continuer à travailler à l’approfondissement de notre relation bilatérale ». Il s’est en revanche refusé à tout commentaire sur le rappel de l’ambassadeur algérien, « une décision algérienne qu’il ne m’appartient pas de commenter ». Il n’a pas non plus voulu faire de commentaires « sur cette situation individuelle » mais a tenu à rappeler qu’Amira Bouraoui était « une ressortissante française et qu’à ce titre, les autorités françaises exercent leur protection consulaire ». « Il s’agit d’une procédure qui ne ressort d’aucune manière de l’ordinaire », a-t-il également réagi. Il n’a pas non plus voulu répondre à la possibilité que cette affaire remette en question la visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune programmée pour le mois de mai.
Après un grave coup de froid à l’automne 2021, Paris et Alger avaient scellé un réchauffement de leurs relations à l’occasion d’un déplacement du président français Emmanuel Macron à Alger en août dernier. Les deux chefs d’État avaient signé en grande pompe une déclaration commune pour relancer la coopération bilatérale.