Le livre de poche a eu 70 ans le jeudi 9 février. Créé par les éditions Hachette, ce nouveau format s’est vite popularisé en France. S’il ne s’agit pas à proprement parler d’une véritable invention française, la version que l’on connait reste bien spécifique.
En 1934, Henri Filipacchi sillonne les routes dans sa librairie ambulante, le bibliobus. Cet immigré italien a fait toute sa carrière dans l’imprimerie et l’édition. Son exposition prolongée aux oxydes de plomb dans les ateliers a entrainé une grave maladie pulmonaire, le poussant à choisir le grand air. C’est cette année-ci qu’il est repéré et embauché par René Schoeller, directeur général de la librairie Hachette. Henri Filipacchi en deviendra le secrétaire général. En cette qualité, il sera à l’origine d’une petite révolution : la création, en 1953, du format du livre de poche.
Un format en vogue dans les pays anglo-saxons
Si le format se popularise très rapidement et garantit le succès à Hachette auprès du grand public d’après-guerre, en réalité, Filipacchi n’a rien inventé. La légende raconte qu’il a été inspiré par un « G. I. » américain, qu’il aurait vu manipuler un petit livre avant de le glisser dans sa poche. Avant la guerre, le pocket book avait déjà été conçu par la maison d’édition Simon and Schuster justement pour tenir dans une poche.
En Europe non plus, l’idée n’est pas nouvelle. A Londres, Allen Lane et V. K. Krishna Menon ont fondés les Penguoin Books en 1936. Vendus 6 pence, leur objectif est de toucher une large audience.
Une spécificité bien française
Pourtant, le livre de poche est également une spécificité bien française. Il a été créé pour ouvrir au plus large public possible les grands noms de la littérature, notamment françaises. Le premier livre réédité en livre de poche a été Koenigsmark de Pierre Benoît publié pour la première fois en 1918. D’autres suivront, parmi lesquels Vol de nuit d’Antoine de Saint-Exupéry ou encore La Bête Humaine d’Emile Zola. Encore aujourd’hui, ce sont les classiques qui restent les plus vendus sous format poche. Le Grand Meaulne d’Alain Fournier, Le journal d’Anne Franck ou encore Germinal d’Emile Zola sont les œuvres qui comptent le plus de ventes cumulées et dépassent les quatre millions d’exemplaires chacun.
Jean-Paul Sartre sera également publié en format poche. Le philosophe était pourtant opposé à ce format : il se demandait si on pouvait le qualifier de « vrai livre ». C’est une autre spécificité bien française : le débat. D’un côté ceux qui s’opposent à ce format. De l’autre, les partisans du livre de poche, à l’image de Jean Giono, Marcel Pagnol ou encore Jean Cocteau, pour qui « tout livre devrait être un livre de poche ».
Un succès continu
De nos jours, de nombreux écrivains français dévoilent leur amour pour les petits livres. La prix Nobel de littérature Annie Ernaux a déjà évoqué au Nouvel Obs comment sa vocation est née des formats poches. Hachette, dans son communiqué d’anniversaire, met aussi en avant d’autres auteurs comme Emilie Nothomb ou Gaël Faye qui dépeignent les bienfaits de ce format.
Les chiffres appuient leur optimisme : le nombre d’exemplaires vendus en poche ne cessent d’augmenter. De 8 millions d’exemplaires en 1958, 118 ont été écoulés en 2022. Au total, depuis 1953, plus d’un million de livres de poches ont été vendus. Les raisons sont notamment économiques : l’augmentation du prix du papier, de plus de 85 % rien que depuis juillet 2021, explique que les courts formats soient plus avantageux. Le magazine américain Bookseller s’est entretenu avec de nombreux libraires et consommateurs de livre. Les formats poches sont privilégiés pour les commandes ou pour des auteurs encore peu connus. Une sorte de garantie sur l’investissement.
Soixante-dix ans après, le format poche est encore en vogue. Et a probablement de beaux jours devant lui. Sur les dix meilleures ventes de 2022, six ont été éditées en format poche.