Primés à l’étranger, condamnés dans leur pays : la double vie des cinéastes iraniens

Ascenseur émotionnel. Trois jours après son couronnement à la Berlinade, Mohammad Rasoulof a été sommé par le tribunal iranien de se livrer aux autorités pour purger sa peine. Loin d’être un cas isolé, le réalisateur s’inscrit dans une lignée de cinéastes persécutés par la République islamique.

Récompensé de l’ours d’or à la Berlinade lundi pour son dernier film « There Is No Evil », qui traite de la peine de mort en Iran et qu’il a tourné clandestinement, le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof a reçu mercredi une convocation au tribunal par SMS. Une procédure judiciaire ouverte à la suite du film Un homme intègre, qui retrace la résistance d’une famille iranienne face à une compagnie privée qui souhaite accaparer sa maison et son terrain. Primé à Cannes, le cinéaste avait été condamné l’an dernier à un an de prison et deux ans d’interdiction de sortie du territoire pour « atteinte à la sécurité de la République islamique ».

Le réalisateur n’avait d’ailleurs pu aller chercher son ours d’or en personne, réceptionné par sa fille Baran Rasoulof. « Je suis submergée par l’émotion et heureuse, ce prix est pour un cinéaste qui ne peut pas être là. », a -t-elle déclaré. « Je tiens à remercier l’incroyable équipe qui a mis sa vie en danger pour être dans ce film », a assuré de son côté le producteur Farzad Pak.

Dans le collimateur des autorités iraniennes

Soupçonné de perpétrer des « activités contre la sécurité nationale et de la propagande » dans ses films, le cinéaste primé depuis 2011 en France et depuis régulièrement pris pour cible par le régime iranien. Avant la Berlinade, il se confiant ainsi à Libération : « J’attends maintenant le message qui me dira quand je dois retourner en prison. »

En 2017, Mohammad Rasoulof n’avait pu assurer la promotion de son film à l’étranger. Après sa parution au festival de Telluride aux Etats-Unis en septembre, le réalisateur s’était vu confisquer son passeport.

Pour leur cinéma engagé, frontal et dénonciateur du pouvoir politique et du régime iranien, de nombreux réalisateurs iraniens ont été contraints à l’exil, tandis que les moins chanceux subissent le sort réservé aux prisonniers iraniens.

Pris en étau entre le système politique et le Guide de la Révolution, à vocation religieuse dont l’autorité s’exerce au-delà de tout autre pouvoir et texte de loi,  le cinéma iranien est automatiquement soumis à cette bicéphalie du système, mise en place par l’Ayatollah Khomeiny. La ligne de conduite qu’il a tracée est claire : outre la nudité et les formes de violences, la présence de femmes à l’écran et toutes autres références à l’occidentalisation sont prohibées.

Rasoulof, pas un parmi tant d’autres

L’actrice iranienne, Golshifteh Farahani en a fait les frais. En 2012, elle s’est attiré les foudres des ayatollahs après avoir posé nue dans Le Figaro Madame. Elle s’est déshabillée aux côtés de trente autres acteurs nominés aux Césars pour le prix du meilleur espoir. Mais, à la différence de ses collègues, l’actrice iranienne a dévoilé un sein, avant de lancer un saisissant « de vos rêves, je serai la chair ». Celle qui s’était exilée en France depuis 2009 s’est vue immédiatement conseillée de ne plus remettre un pied sur le territoire.

Autre victime de la répression du pouvoir iranien, le réalisateur Jafar Panahi. Condamné en 2010 pour « participation à des rassemblements et pour propagande contre le régime », le cinéaste subit une double peine : six ans d’emprisonnement assortie d’une interdiction de filmer, d’écrire des scénarios, de voyager et de parler à des médias pendant vingt ans, le cinéaste avait décidé de mettre en scène sa sentence. Son film Taxi Téhéran est ainsi né dans la clandestinité. Son œuvre est couronnée de l’ours d’or du meilleur film de la Berlinale.

Même chefs d’accusation pour le jeune cinéaste iranien Keywan Karimi. Six ans de prison ferme pour avoir dirigé, Écrire sur la ville, un film sur les graffitis de Téhéran. Sa peine a depuis été appareillée à 223 coups de fouet.

Parallèlement à cette censure cinématographique, le cinéma iranien fait face à un immense paradoxe : l’Iran multiplie l’ouverture de cinémas, et un multiplexe de 25 salles, le plus important du Moyen-Orient, ouvrira prochainement à Téhéran.

Mélanie Guiraud