Eurovision 2016 : la chanson ukrainienne enrage la Russie

vk.com de Jamala

Dimanche dernier, l’Ukraine a choisi son représentant pour la prochaine édition de l’Eurovision. La chanson « 1944 » a touché le cœur de plus de 100 000 ukrainiens et est arrivée en tête de la sélection nationale, désignée par les téléspectateurs ainsi que par un jury composé de professionnels. La chanteuse Jamala raconte les événements tragiques qui ont eu lieu dans le passé, à l’époque de l’URSS. La Russie, elle, a perçu cela comme une provocation.

« Ils vous tuent tous et disent qu’ils ne sont pas coupables. » Les paroles de la chanson composée et chantée par une artiste ukrainienne sont saisissantes. Née d’un père Tatar de Crimée et d’une mère Arménienne, Jamala a vécu son enfance et sa jeunesse dans la péninsule. Restant de-jure le territoire ukrainien, la Crimée a été annexée en 2014 par la Russie. Une perte que les Ukrainiens peinent à accepter.

Mais la chanson sélectionnée est censée raconter une autre histoire, plus ancienne. Le 11 mai 1944, Staline signe un décret qui accuse les Tatars de collaboration avec les nazis. 240 000 personnes ont été déportées par l’Armée rouge en Asie centrale. La moitié a trouvé la mort lors d’un trajet pénible, ou plus tard, en raison de rudes conditions de vie. Ce drame, la grand-mère de Jamala l’a vécu, l’a partagé et a inspiré sa petite fille qui rend hommage à « ces milliers de Tatars de Crimée » dont il ne reste « même pas de photos ».

Le pouvoir soviétique a reconnu la déportation illégale 45 ans plus tard. Mais la chanson interprétée par Jamala n’a pas fait plaisir à certains politiques russes. La Douma d’État (le parlement russe) a vite réagi. Vadim Dengin, vice-président de la commission de la politique d’information que que « cette chanson n’est qu’une tentative de blesser, une nouvelle fois, la Russie ». D’après Ruslan Balbek, le vice-premier ministre de la Crimée, « Kiev tente ainsi d’utiliser la chanson pour imposer aux européens l’image fausse de répression des Tatars de Crimée de nos jours ».

Ce n’est pas la première fois que les participants à l’Eurovision profitent de ce concours pour contester la politique de Vladimir Poutine. En 2007, la chanteuse ukrainienne Verka Serduchka avait remporté la seconde place au concours avec la chanson « Lasha Tumbai », souvent prononcée « Russia Goodbay » pour faire allusion au soutien de la révolution orange s’opposant au président pro-russe Viktor Yanukovich. Mais l’Eurovision se positionne comme un concours apolitique, en 2009, ainsi le groupe géorgien Stephane & 3G a eu moins de chance. Pour avoir chanté « We Don’t Wanna Put In » (« On ne veut pas en tenir compte »), il a été disqualifié. En effet, on pouvait y entendre « We Don’t Wanna Putin », soit« on ne veut pas de Poutine ». La Douma russe espère donc une disqualification de la chanteuse ukrainienne Jamala. Paul Jordan, représentant officiel du concours, a annoncé que la chanson sera examinée et la décision sur sa participation sera prise le 14 mars (article en russe).

L’Eurovision-2016 aura lieu le 14 et 16 mai à Stockholm, puisque c’est la Suède qui a remporté la compétition l’année précédente, devançant la chanteuse russe. L’Ukraine n’avait pas participé au concours cette année-là. Qui sait, peut-être l’Eurovision-2017 passera à Sébastopol, la capitale de la Crimée. Il restera alors à savoir sous quelle nation : russe ou ukrainienne. Alors que les deux pays subissent actuellement une crise économique profonde, l’organisation d’un concours si coûteux serait probablement accueilli avec peu de réjouissement.

N. D.