L’épineuse question de la privatisation des Aéroports de Paris

L'aéroport de Paris Charles-de-Gaulle en passe de devenir une entreprise cent pour cent privée. crédit creative commons - Dmitry Avdee

Le Sénat a retoqué mercredi 20 février 2019 les propositions du gouvernement sur la privatisation des Aéroports de Paris (ADP) et de la Française des Jeux que l’État entend vendre au plus offrant. A gauche comme à droite, des voix s’élèvent contre le projet de privatisation d’ADP. Les opposants dénoncent une privatisation qui ne répondrait pas à l’intérêt général.

Alors que députés et sénateurs ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur une version commune du projet de loi Pacte sur entreprises et privatisations mercredi dernier, Guillaume Peltier, vice-président du groupe Les Républicains (LR) à l’Assemblé Nationale, demande à Emmanuel Macron de « renoncer à vendre Aéroports de Paris (ADP) ». Dans une tribune parue dans le Journal Du Dimanche du 23 février 2019, signée par 103 parlementaires du groupe LR, le député décrit les risques d’une hausse du trafic aérien au-dessus de la capitale : augmentation des nuisances sonores pour les franciliens et un affaiblissement de la souveraineté nationale sur la principale frontière française. Selon lui, la privatisation d’ADP, qui est par nature un monopole naturel, aboutirait à une situation de rente.

 

Contrôle des douanes à l’aéroport Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle.(Photo by ALAIN JOCARD / AFP)

 

ADP possède en effet de nombreux aéroports dont les très stratégiques Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle et Paris-Orly. L’État français qui détient 50,6% du capital de la première société aéroportuaire européenne prévoit dans son plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE) de céder ses parts au privé pour 10 milliards d’euros. Le gouvernement justifie la vente d’ADP par la mise en place d’un fond d’innovation de rupture. Ce fonds, financé par les intérêts de la vente d’ADP, servirait à financer les entreprises de demain qui travaillent sur la nanotechnologie et l’intelligence artificielle. Des raisonnements économiques qui irritent aussi à gauche.

Une opération financière complexe

David Cayla, membre des économistes atterrés et co-auteur de la pétition « Non à la privatisation de l’aéroport de Paris », dénonce un montage financier complexe. ADP verse annuellement 200 millions d’euros de dividendes à l’État. Mais si celui-ci place les bénéfices de la vente d’ADP sur un fond d’investissement à risque limité comme il le prévoit, les intérêts annuels seraient de 250 millions d’euros. Une différence négligeable à terme selon l’économiste : « ces profits devraient être exponentiels dans les années à venir puisque les prévisions du trafic aérien sont prévues à la hausse. » Il rappelle que la Banque Publique d’Investissement (BPI), mise en place sous François Hollande, est déjà une instance qui permet d’aider les projets d’innovation : « un décret qui prévoyait de donner les 200 millions d’euros de dividendes à la BPI aurait suffit. »

L’autre argument du gouvernement pour justifier la vente d’ADP est le financement du quatrième terminal à Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle avant les Jeux olympiques de 2024. Des travaux estimés entre 7 et 10 milliards d’euros que Bercy ne pense pas pouvoir absorber avec les fonds souverains. David Cayla rappelle dans sa pétition l’échec que fut la privatisation de l’aéroport de Toulouse. En 2015, alors qu’Emmanuel Macron est ministre de l’Économie, l’État vend une partie de l’aéroport de Toulouse au consortium chinois « Symbiose ». Celui-ci s’engage à moderniser l’équipement et gérer l’aérogare. Quatre ans plus tard, le groupe chinois annonce son intention de revendre ses parts de capital avec une plus-value de 80 % après avoir investi le minimum nécessaire dans l’infrastructure aéronautique ces dernières années.

Une concession inédite

L’extension de l’aéroport et l’amortissement sur le long terme de ces nouvelles infrastructures expliquent, d’après Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, que le gouvernement se soit arrêté sur une concession exploitable pendant 70 ans. C’est une durée inédite dans l’histoire des privatisations, les concessions des autoroutes n’ayant jamais dépassé 30 ans. En procédant ainsi, le gouvernement a également décidé qu’il était de son devoir d’indemniser les actionnaires minoritaires actuels sur le manque à gagner des 70 années à venir. Le gouvernement paiera pour vendre l’un de ses biens. Une situation sans précédent.

Avec ce système, le gouvernement s’offre la possibilité de racheter la société à la fin de la concession, soit dans 70 ans. Mais le journal en ligne, Médiapart, s’alarme que l’État ne puisse alors récupérer l’exploitation d’ADP qu’en échange d’une somme faramineuse et que la seule solution soit de reconduire la concession d’ADP, une concession pour le privé à perpétuité en somme.

 

Mathilde Bienvenu